Ismaël Sylla - Au Hafia Football Club, IL S'appelait Eusobio.
Stade du 28 septembre - 18 décembre 1977. Finale retour, Hafia (Guinée) – Hearts of Oak (Ghana) Ismaël Sylla « Eusobio » et ses coéquipiers entrent dans la légende du football Africain.
Ismaël Sylla « Eusobio » : J’ai offert ma sueur et mon sang à la révolution
En compagnie d’une bande de talentueux footballeurs sortis des méandres de la révolution Guinéenne, il fut à l’origine de certaines des inspirations les plus féeriques du légendaire griot mandingue Kouyaté Sory Kandia, lorsqu’il vantait les mérites du mythique Hafia football club de Conakry et du Sily national de Guinée.
Pourtant, le destin du triple champion d’Afrique des clubs 1972,1975,1977, vice champion d’Afrique des nations 1976 et multiple champion de Guinée, basculera à jamais pour une banale rencontre amicale entre le Kaloum star de Conakry et l’Africa sport d’Abidjan.
Ce milieu défensif, gardien d'un temple dont les porte-étendards se nommaient, Soumah Soribah Edenté, Chérif Souleymane (emblématique ballon d’Or), Ibrahima « petit Sory » Kéita, Thiam Ousmane Tolo, Naby Laye « Papa » Camara, Mamadouba Camara Maxime, Morciré Sylla, « petit » Bengaly Sylla, Mamadou Aliou Keita NJolea, Amara Touré, Aly Sylla « Tostao », Kerfalla Bangoura « Képine », Mory Koné, Gassimou Hidalgo, Bangoura Manet « Garincha », Bernard Sylla, Moussa Soler, Ibrahima Calva Fofana 1, Seydouba Bangoura, Mohamed Keita « Cocody », Aboubacar Bruno Bangoura, Djibril Diarra « Becken », Baffoude Fofana (…), décide de mettre fin à sa carrière de footballeur après une expulsion de son pays pour avoir osé tenter l’aventure à l’étranger.
Appelez-le porteur d’eau, sentinelle ou poumon d’acier, la légende raconte qu’il pouvait jouer plusieurs fois les 90 mns en une journée sans grincer des dents.
Ismaël Sylla « Eusobio » avoue qu’à l’époque, la Guinée ne s’était jamais souciée de former une relève du milieu de terrain parce que justement, personne n’osait imaginer qu’il tournerait un jour le dos à ses coéquipiers et son pays pour, ironie du sort malgré l’humiliation, tracer les premiers sillons des futures générations de footballeurs milliardaires dont la Guinée est fière aujourd’hui.
« Eusobio » s’est mis au service des autres sur le rectangle vert. Les puristes s’accordent d’ailleurs à dire que pour permettre l’éclosion de Nabi laye Papa Camara, Petit Sory et la consécration continentale du ballon d’or Cherif Souleymane, « Eusob » comme l’appellent les intimes, devait accomplir le « sale boulot » de ce milieu de terrain où finalement, les batailles les plus épiques ont eu lieu durant la glorieuse épopée du Hafia qui connu son point culminant contre la valeureuse équipe Ghanéenne du Hearts of oak, un 18 Décembre 1977 au stade du 28 Septembre, où le Hafia s’adjude définitivement le trophée Kwamé N’Nkrumah de la coupe d’Afrique des clubs champions.
En exclusivité mondiale, le mensuel « Ivory Coast Tribune » a eu l’immense plaisir de rencontrer l’ancien champion à Paris, pour sa première interview depuis son départ de Dékédougou en Guinée forestière, un jour d’été 1979 en direction de Monrovia, ville frontalière la plus proche, ensuite la ville de Man avant d'atterrir à l'Africa sports d'Abidjan en Côte d'Ivoire.
Ivory Coast Tribune :
Eusob, présentez-vous à nos lecteurs.
Ismaël Sylla Eusobio : je suis né le 28 Avril 1952 à Conakry. Je suis un fils de la révolution Guinéenne d’Ahmed Sékou Touré. Père de 7 enfants dont 3 filles et 4 garçons.
Très tôt, je participe aux tournois inter-quartiers de football de Conakry Koléha où j’habitais avant d’intégrer l’équipe du 5ème arrondissement qui a remporté plusieurs éditions du tournoi du PDG (Parti démocratique Guinéen).
Tous les jeunes étaient recrutés dans les quartiers, collèges et lycées pour les introduire en équipe nationale. Dans mon pays, le sport, surtout le football était ainsi structuré de la base au sommet. Après le lycée, j’entre à la faculté de droit de l’université de basse côte. En 1970, je fais partie des 23 footballeurs qui prennent part au stage de trois mois en Europe de l’Est (Hongrie, Bulgarie, Yougoslavie et Tchécoslovaquie) à l'issue duquel, 6 joueurs: Aliou Keita Njolea, Bengali Sylla, Ousmane Mannet Garincha, Bernard Sylla, Nabi Laye (Papa) Camara et moi-même, Ismaël Sylla « Eusobio » avons été retenus pour former l’ossature originale de la légendaire équipe du Hafia Football Club de Conakry et de l’équipe nationale (le Sily national) de la Guinée.
Ainsi à 22 ans, en compagnie de mes camarades, j’ai répondu oui à la révolution par mon sang et ma sueur.
Ivory Coast Tribune:
D’où vient ce pseudonyme d’Eusobio ?
Ismaël Sylla « Eusobio » :
Tout le monde croit que je tiens ce surnom du célèbre footballeur Portugais d’origine Mozambicaine des années 1970. Pas du tout. Je dois ce surnom à un footballeur Guinéen originaire de Kindia ; Morlaye Sylla Eusobio. Enfant, j’étais fasciné par son style de jeu, donc je me faisais appeler Eusobio pour lui ressembler, sans savoir qu’il y en avait un autre de classe mondiale qui existait.
Ivory Coast Tribune:
Pourquoi précisément en Europe de l’Est pour le stage dont vous parliez ?
Ismaël Sylla « Eusobio » :
C’était une décision purement politique. La France a refusé de coopérer avec la Guinée après le fameux « Non à De Gaulle » de 1958. Du coup, le pays s’est allié au bloc de l’Est . La France ayant refusé la demande de stage, nous sommes allés en formation dans ces pays. Là-bas, en Hongrie qui était de culture offensive, la formation était basée sur l’attaque à outrance. Pour ceux qui nous ont suivis plus tard, Ils ont dû constater que Cherif Ousmane qui était avant-centre est devenu défenseur central pour pallier les insuffisances dans ce secteur.
Les deux prochaines années verront l’arrivée de Mory Koné, Amara Touré, Cocody et tous les autres avec qui nous avons trôné sur le toît du football continental, de 1972 à 1979 (triples Champions des clubs, pour 5 finales jouées, et une finale de coupe des nations perdue sans défaites contre le Maroc en 1976.
Ivory Coast Tribune :
Quelle était l’atmosphère avant-match dans les vestiaires du Hafia FC ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Dans nos vestiaires, il y avait un seul maitre qui était le coach. Silence total durant les instructions. Il était seul habilité à porter les critiques.
Ivory Coast Tribune:
Parlez-nous de cette finale de la Can 1976.
Ismaël Sylla « Eusobio » :
Personne, même notre coach, ne s’imaginait que nous étions capables de faire ce que nous avons réalisé. En 1976, nous sommes à Adis Abeba et la première empoignade sera contre l’Egypte d’Ali Shehatta. Notre entraîneur (Petre Moldoveanu) qui avait suivi les pharaons à l’entrainement, nous a tout simplement dit : « ces gens sont immensément talentueux, ils vont nous écraser ». D’ailleurs avant la rencontre il a eu un malaise, donc Maitre Naby a dû le suppléer sur le banc. Le tournoi se déroulait sous forme de carré d’As.
Surprise ! Match nul contre l’Egypte. Au match retour, nous écrasons l’Egypte 4-1. Ensuite, victoire 5-3 contre le Nigeria. Je continue de rejouer ce match dans ma mémoire. Nous menons 1-0 en finale contre le Maroc qui égalise à la 88ème minute. Tout le monde était unanime que dans les prolongations nous aurions remporté cette finale, mais la coupe est revenue au Maroc sur le goal différentiel ; un système expérimenté par la CAF, mais jamais réédité après 1976.
Malgre ce malheureux revers, nous comptions peu de rivaux sérieux sur le continent. L’histoire retiendra que nous avons dominé le football continental de 1972 à 1977.
Ivory Coast Tribune :
Pourquoi la Guinée n’a-t-elle plus rien gagné depuis votre époque ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Il ya eu une période de transition mal gérée depuis la victoire de 1977. La structure de notre football s’est effondrée. Il ya lieu de retourner aux fondamentaux. Certes, il ya eu un semblant de réveil dans les années 90, mais l’accent n’est plus mis sur la formation des jeunes.
Mieux, à notre époque, l’objectif était de gagner et toujours gagner, ceci n’engage que moi, Je ne crois pas ce soit le cas aujourd’hui . Les gens pensent plutôt à ce qu’ils se mettront dans la poche. Ils n’ont pas tort, mais il n’y a pas eu de passage de témoins entre les anciens et les nouveaux. Pourtant, nous aurions pu bénéficier des uns et des autres mutuellement. Les jeunes non plus n’ont jamais vraiment rien voulu savoir des plus anciens ; ne cerait-ce qu’en termes de conseils. Nous, c’était la victoire et rien que la victoire ou la punition (rires...).
De nos jours, c’est le matériel d’abord. Je ne vis pas à Conakry, mais c’est un constat. Au niveau du staff de l’équipe nationale, il fut un temps ou Papa et d’autres en faisaient partie mais ils ont très tôt été virés, à part Cherif Souleymane qui est instructeur à la FIFA et directeur technique national en remplacement de petit Sory.
L’état a décidé de mettre tous les anciens à la retraite alors qu’on avait encore du jus. La vrai raison c’est la victoire du Hafia en 1977. Nous étions triple champions, donc le trophée nous revenait définitivement. C’était hautement symbolique pour la révolution, parce que c’était le trophée Kwamé N’Nkrumah (ancien chef d’état ghanéen) qui était lui-même en exile en Guinée. Pour Ahmed Sékou Touré, le rêve c’était accompli. C’était un contexte hallucinant. Tout était envers et pour la révolution. Nous étions formatés et robotisés pour défendre les causes de la révolution; prêts à mourir pour le peuple sans jamais rien réclamer en retour. Cette décision a freiné l’ascension du football Guinéen. Nous aurions pu rivaliser avec le Nigeria et le Cameroun durant les décennies qui ont suivi le sacre du Hafia.
« Je ne donnerai pas un centime à ces joueurs qui se sont battus pour la Nation » Ahmed Sékou Touré.
Ivory Coast Tribune :
Justement vous dites "sans jamais rien reclamer en retour". Parlons-en, vos salaires correspondaient à quoi, pour les vedettes que vous étiez ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Rires…Les souvenirs de Kampala me reviennent. Inoubliable ! Le pays tout entier et Conakry étaient en ébullition. C’est indescriptible. Il faut l’avoir vécu. J’en ai encore la chaire de poule. Vous parliez de salaire ? Je vais vous le dire alors. Notre salaire, c’était : « Nous sommes prêts pour la révolution ». Ahmed Sékou Touré a d’ailleurs déclaré après la victoire de Kampala : « Je ne donnerai pas un centime à ces joueurs qui se sont battus pour la Nation ».
Celui qui avait la chance de percevoir 10.000f CFA devait s’estimer heureux. Nous ne savions pas ce que voulait dire salaire, primes de match ou contrat; nous, les triples champions d’Afrique et vice-champions des nations. Aucun footballeur du Hafia de cette époque-là ne vous dira le contraire. Après mes dix ou vingt ans de service je n’ai pas perçu l’équivalent de ce que gagne un joueur aujourd’hui en un match.
L’ironie dans l’histoire, c’est que la défaite devait être responsabilisée. C'est-à-dire, il fallait punir l'élément ou les éléments à l’ origine de la défaite comme celle contre le Mouloudia à Alger en 1976. Deux de nos valeureux coéquipiers Njolea et le gardien Bernard Sylla ont payés le prix fort. C’état ça la révolution. La gloire au peuple. Aujourd’hui, Dieu merci, les footballeurs représentent la gloire.
Ivory Coast Tribune :
Comment ont-ils été « responsabilisés » ? Qui confirme qu’ils ont été à l’origine de la défaite ?
Ismaël Sylla Eusobio :
de un, nous n’aurions jamais dû prendre part à cette rencontre comme l’avait décidé le président de la fédération et membre de la CAF, N’farma Camara, après une réunion d’avant match à Alger. Il se trouve qu’au match aller au stade du 28 septembre, nous l’emportons 3-0 et un joueur algérien, Ben Cheick écope d’un carton rouge. À Alger, il figure sur la feuille de match pourtant les règlements sont sans ambiguïté; il devrait automatiquement être suspendu ! La CAF lui permet de participer au match retour.
De deux, Le ministre des sports nous demande de jouer alors que N’farma reste à l’hôtel parce qu’il était convaincu que les arbitres seraient corrompus. Nous avons perdu aux tirs aux buts après une défaite 3-0 dans le temps réglementaire. De retour à Conakry, nous avons été conduits tout droit au palais présidentiel où des tables ont été dressées pour nous demander par écrit de répondre à des questionnaires sur la finale. Il était indiqué de ne pas inscrire nos noms sur les block-notes. Après lecture des rapports individuels, Il a été décidé de limoger le Ministre des sports Toumani Sangaré sur le champ. Le président de la fédération a été promus directeur de l’imprimerie Patrice Lumumba. Nos coéquipiers, Bernard Sylla et Aliou Keita Njolea ont purgé 9 mois de prison au lugubre camp Boiro. Deux finales perdus la même années 1976 ? Il fallait sévir.
Honnêtement, je dois avouer que j’ai servi mon pays la tête haute, mais si c’était à recommencer, j’aurais bataillé pour construire au moins une case. Si vous vous rendez compte de ce que représente une case.
Ivory Coast Tribune:
Ne dites tout de même pas que dans toute cette grisaille, il n’y avait pas de moments de bonheur, non ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Certainement, les jours de match. La tension mêlée à l’euphorie du public. C’était phénoménal. L’adrénaline était à son paroxysme. Depuis le lieu de regroupement à l’hôtel « Belle Vue » jusqu’au stade du 28 Septembre, se formait une haie humaine. Toutes munis d’un foulard blanc, les populations nous bénissaient au rythme des mélodies envoûtantes de Kouyaté Sory Kandia (la voix de la révolution).
Ce sont des moments que nul ne peut oublier. Mais j’insiste que nous étions au service de la Nation et donc, pour la cause, la récompense doit être palpable même si elle est tardive. Voyez-vous les anciens combattants, ils n’étaient certainement pas tous volontaires, mais pour avoir été sur les champs de batailles, leur effort est reconnu. Pourquoi doit-on chez nous attendre la mort du soldat pour le valoriser ?
Ivory Coast Tribune:
Soyez plus précis.
Ismaël Sylla Eusobio :
Mais ce dont je parle est réel. Je suis en larmes chaque fois que je pense à nos coéquipiers disparus. Je n’ai pas vu Papa Camara avant son décès, mais j’étais à Conakry quand Abdoulaye Keita Banks a été hospitalisé. Mon Dieu ! Il était méconnaissable et il souffrait terriblement, seul. Je n’ai pas eu le courage d’y retourner parce que je ne pouvais pas l’aider. C’est inacceptable ! Le pauvre n’était plus qu’un squelette pourtant, nous réclamons juste le minimum. Le malheur dans tout ça, c’est que certains de nos coéquipiers ne pensent qu’a leurs intérêts, pourtant nous ne sommes plus que 6 survivants qui devraient être soudés et solidaires pour que la Nation nous célèbre tous les ans. On ne peut pas tout dévoiler au risque de se faire des ennemis, mais je veux dire : " les gens attendent que tu meurs pour ramener 10Millions de francs guinéens (1000 euros) , quelques boissons et on attend le suivant". Ce n’est pas juste !
Ivory Coast Tribune:
Eusob, pourquoi avez-vous été expulsé de Guinée ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Nous sommes en 1979, le Hafia n’a pratiquement plus besoin de nous. Du coup j’ai été muté comme magistrat à Faranah par la révolution. Visiblement, quelqu'un avait décidé de mettre un terme à ma carrière. Au lendemain du jubilé de Salif Keita à Conakry, match de gala auquel je ne participe pas, le temps d'un voyage sur Dékédougou pour rende visite à ma tante , la décision est prise de partir jouer pour l’Africa Sports d’Abidjan en Côte d’Ivoire. La frontière Libérienne étant proche, je me rends à Monrovia, puis en compagnie de l’orchestre de la chanteuse Sud-Africaine Miriam Makéba, nous embarquons par la route pour la ville de Man. Dans cette localité de l'Ouest montagneux Ivoirien, mr Norbert Gbétigbouo, un dirigeant de l’Africa Sports avec qui le petit frère de Bengaly Sylla était en contacte, demande au préfet de la ville de mettre tout à disposition pour le vol sur Abidjan où m’attendaient Sékou Coulibaly ex sociétaire de l’africa, le journaliste Kanté Boubacar et Manet Garincha.
Cette même nuit à l’hôtel vers 1h du matin, j’ai entendu le Bembeya Jazz jouer sa chanson qui disait ceci : « Il n’y a rien de mieux que vivre chez soi, si l’on ne se reproche rien ». J’ai coulé des larmes de nostalgie, mais le combattant que j’étais devait poursuivre son chemin. La chanson s’est avérée prémonitoire.
J’ai signé à l’Africa, après la coupe des Nations « Lagos 80 », parce que la fédération Guinéenne refusait de fournir ma lettre de sortie dans les normes.
J’ai compris que mon départ n’avait pas été apprécié des autorités quand, à la naissance de mon fils ainé Chérif, homonyme de mon coéquipier Chérif Souleymane, la famille n’a pas été autorisée à le baptiser. Chérif est allé supplier le Président Sékou Touré pour donner l’autorisation de le faire. Toute la famille avait peur.
Je savais que nous étions des combattants de la révolution mais j’ai compris l’ampleur de ce que nous vivions quand j’ai osé aller jouer à l’étranger.
Se débarasser des anciens a freiné l'ascension du football guinéen. J’ai été le mouton de sacrifice. Aujourd’hui ceux qui ont suivi mes traces gagnent bien leur vie.
Ivory Coast Tribune :
La révolution vous -a-t-elle pardonné ce départ ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Malheureusement, non. A l’africa Sport d’Abidjan où j’évoluais depuis 1980, il était question de match amical contre le Khaloum star de Conakry. Pour moi, les rumeurs provenant de Conakry n’étant pas bonnes, je ne comptais pas participer à cette rencontre mais dans les coulisses, la réconciliation ente la Guinée, le Sénégal et la Côte d’Ivoire battait son plein. Le président Zinsou (Africa Sports) avait dit-on assuré qu’il serait présent à Conakry en provenance de Paris le jour du match et que l'État Guinéen m'autorisait à participer à cette rencontre. Chose curieuse, maitre Naby (Entraineur du Hafia 77) avait participé aux tractions pour mon retour.
C’était un risque énorme. Plusieurs hommes politiques et célébrités dont Diallo Telly (premier secrétaire général de l’organisation des l’unité Africaine), Alpha Condé (actuel président de la république de Guinée) et Ibrahim Kandia Diallo, l’un des meilleurs avant – centres guinéens, décédé en exile en France….ont tous été victimes du système répressif de la révolution.
Nous arrivons un vendredi à l’aéroport Gbessia et qui vois-je au bas de la passerelle? Le capitaine Siaka Touré (tortionnaire en chef de la révolution), petit frère de Sékou Touré. Il avait l’habitude de faire la ronde à l’aéroport pour voir qui revenait au pays. J’étais ami à ses enfants mais envahi par la peur, ma sacoche en bandoulière est tombée. La nouvelle de mon retour a parcouru la ville de Conakry mais personne n’osait y croire jusqu’à 17h au stade du 28 Septembre, où nous assistions à un match entre les militaires Togolais et Guinéens.
Le général Toya Condé et le ministre des sports de l'époque, Seydou Keita, ont exigé mon arrestation "manu militari". Embarqué dans une Jeep, j’ai été conduit à l’ambassade de Côte d’Ivoire. Sur place, il m’a été signifié que j’avais 24h pour quitter le territoire national dans le premier vol en direction de Dakar.
J’ai remporté trois coupes d’Afrique des clubs. J’ai été vice champion d’Afrique des nations, multiple champion de Guinée, j'ai participé à toutes les compétitions internationales depuis l’âge de 22 ans, mais mon pays m’a humilié parce que je voulais simplement rechercher un avenir meilleur. J’ai payé cher, mais je suis heureux d'avoir ouvert la voie à la nouvelle génération. Même si avant moi, il y a eu une autre vedette Guinéenne (moins connu chez nous), du nom de Sam Turray qui avait fait les beaux jours de l'Africa Sports de Côte d'Ivoire.
« Persona Non Grata » chez moi, je retourne à Abidjan. Pour la Guinée, j’avais abandonné mon pays pour des "châteaux en Espagne". Tout ce que je voulais, c'était faire ce que je savais faire de mieux; jouer au football.
La peur au ventre, il m’était impossible désormais de vivre en Côte d’Ivoire. Je ne voulais plus entendre parler de football pourtant, avec l’Africa j’ai eu le privilège de battre l’empereur baoulé (Laurent Pokou) et l’Asec d’Abidjan au cours d’un classique que toute l’Afrique suivait à cette époque. Quelle intensité ce match. Et moi l’éternel finaliste des coupes africaines, je me retrouve face au TP Mazembé du Zaire (actuel RDC) en 1980. Nul 0-0 à Abidjan mais au retour, l’Africa n'était pas suffisamment expérimentée pour les joutes internationales malgré la présence de joueurs tels que Kobina Kouma, Miezan Pascal et Lebry Jérôme.
Après cette finale et à la suite d’une déchirure musculaire, je décide de partir en France où je me sentirais beaucoup plus en sécurité.
Avec l’aide du journaliste Siradou Diallo du journal "Jeune Afrique" j’ai pu obtenir l’asile politique.
« Je ne pleurniche pas. Nous sommes des anciens combattants »
Ivory Coast Tribune :
Considérez-vous avoir été relégué aux oubliettes par la Guinée?
Ismaël Sylla Eusobio :
Il me semble, oui. Vous êtes de la presse étrangère n'est-ce pas ? Comment savez-vous qui je suis pendant que chez moi, vos confrères sont passés à autre chose ? L’histoire doit s’écrire, parceque la tradition orale a ses limites.
Bref ! Nous sommes des anciens combattants. D’ailleurs, et c’est à l’honneur de l’Etat qui est une continuité, tous les anciens du Hafia FC sont des fonctionnaires à vie depuis l'époque du président Lassana Conté. Ils ont perçu des indemnités mais personne n'a jamais pensé à moi.
Le hic, c’est que la pension de footballeur qui est d’environ 400 euros par mois est annulée 3 moi après décès du joueur. Nous aurions souhaité qu’elle soit octroyée à un bénéficiaire légal comme les pensions ordinaires. Ensuite, il ya le fait que nous ne sommes plus qu’une poignée de survivant (Chérif Souleymane, Petit Sory, Jacob Bangoura, Calva Fofana 1, Bernard Sylla, Sékou Condé et moi-même, Ismaël Sylla) parmi la trentaine d’anciens combattants à qui un domaine de 15 hectares a été octroyé à Dobreka (Ansoumanya). Il nous a été dit que les anciens du Hafia pouvaient y bâtir un centre de football et des habitations personnelles. Aux dernières nouvelles, le premier ministre actuel aurait suspendu la procédure jusqu'à obtention d’un procès verbal signé par tous les survivants dont le président de l'amicale se trouve être Petit Sory, mais rien n’avance et nous vieillissons en plus du Corona Virus qui menace la vie de tout le monde.
Ivory Coast Tribune
A votre avis où se situe le problème ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Je ne saurais vous dire, et personne ne semble en avoir la réponse. Moi je vis en France depuis mon exile forcé. Je reviens souvent depuis le décès de Sékou Touré mais quand je cherche à savoir, il n’ya pas de réponse non plus. Depuis 1979 c’est la première fois que je perçois des indemnités ; 5millions de francs guinéens (450 euros/mois environ) et ce, depuis Janvier 2020. Alors, faites les calculs. Les gens pensent que je ne mérite rien pour mes efforts parce que je vis en France. Ils oublient que j’ai été « persona non grata » pour ouvrir le chemin à la nouvelle génération. Psychologiquement j’en ai souffert. Ma carrière a pris fin. Pendant de longues années, j’ai vécu la peur au ventre à cause du régime tortionnaire de l’époque.
C’est pourquoi je veux profiter de cette interview pour adresser directement la doléance suivante au président Alpha Condé.
C’est le coup de cœur de quelqu’un qui a fait ce qu’il fallait pour la patrie, mais qui a été « persona non grata » pour avoir voulu chercher mieux ailleurs, pour en faire profiter sa petite famille.
Je suis sûr que le président Alpha Condé, de là où il était en Europe, a eu du baume au cœur quand le Hafia remportait tous ces trophées. Je perçois la pension qui m’est due grâce à lui et son gouvernement. Je lui dis grand merci. Cependant, une situation mérite d’être reglée et je suis convaincu qu’il peut le faire pour nous permettre de viabiliser ce domaine de 15 hectares qui nous a été octroyé. Nous ne sommes plus que 5 ou 6 survivants. Le président peut "débloquer" la situation. Si le chef de l’Etat s’implique, tout va bouger à notre niveau. Aucune porte n’est fermée aux footballeurs du Hafia en Guinée, c’est vrai. Mais avec l’appui du gouvernement, nous pourrons construire quelques cases à nos héritiers. Tenez par exemple au Cameroun après 30ans, chaque joueur a reçu une villa. C’était une promesse de l’Etat. Nous comptons sur le président et les membres du gouvernement pour nous aider dans ce sens. C’est important pour notre dignité. Un bien pour nous et un héritage pour nos progénitures.
Ivory Coast Tribune:
Avez-vous pensé à l’après football ?
Ismaël Sylla Eusobio
C’est le plus grand regret de ma vie. Après le traumatisme de mon expulsion de mon pays, j’ai perdu toute envie de m’associer au football. Psychologiquement, j’étais mort. J’aurais dȗ consulter un médecin mais j'ai tourné le dos au football. Le résultat est que j’ai totalement disparu des radars. J’avais les possibilités de faire carrière comme coach ou agent de joueur, mais quand on vit dans la peur quotidienne pour sa vie, les choix finissent par être irrationnels. Deux de mes fils ainés auraient pu être de très grands footballeurs. Malheureusement, je n’étais pas présent pour les encadrer.
Ivory Coast Tribune:
Nous sommes le 18 Décembre 2020. Quelle importance revêt cette date et celles que je vais vous demander de commenter?
Ismaël Sylla Eusobio :
il ya exactement 43 ans le 18 décembre 1977, tous les amoureux du football en Afrique de l’Ouest (Sénégal Mali, Sierra Léone, Ghana, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale, Togo, Benin) et j’en passe, ce sont donnés rendez-vous la veille de la finale contre le Hearts of Oak pour un carnaval géant dans Conakry. jusqu’au stade, c’était la liesse populaire. Inoubliable ! Le stress, l’engagement, la peur de l’échec. Surtout en ayant en mémoire les défaites de 76. Aujourd’hui on en parle mais ce jour là, de notre lieu de regroupement jusqu’ au stade, toutes les artères étaient bondées de monde. Si je m’étais assis sur un œuf, il aurait cuit dans le bus qui nous conduisait au stade.
Dans un silence assourdissant, les membres du bureau politique étaient présents dans les vestiaires. Le président Sékou Touré n’a pas pu être dans les tribunes. Nous avons plus tard appris qu’il assistait à la retransmission en direct à la télévision à partir de l’université Gamal Abdel Nasser, à deux pas du stade.
Papa Camara nous offert le but de la victoire 3-2. Le lendemain a été décrété férié pour la remise des médailles. Toute la Guinée était en blanc au stade du 28 septembre pour assister au défilé militaire et au ballet national en l’honneur des combattants du Hafia FC. Ce sont des moments que ceux qui l’ont vécu ne peuvent jamais oublier. Nous rentrions dans la légende du football africain. Allah est grand, je fus un de ces valeureux combattants dont mon pays était si fier.
Ivory Coast Tribune :
1972
Ismaël Sylla Eusobio : nous remportons la première coupe d’Afrique des clubs champions pour notre pays. C’était le début de l’espoir dans une aventure sans nom.
Ivory Coast Tribune :
1975
Ismaël Sylla Eusobio :
la confirmation de l’espoir de 1972, parcequ’on avait l’effectif à tous les postes.
Ivory Coast Tribune:
1976
double échec, et coup dur.
Ivory Coast Tribune:
1977
Ismaël Sylla Eusobio :
pour moi, l’aventure a désormais un nom : « LEGENDE ». La conclusion de ce qui a été entamé depuis 1972. Nous pouvions continuer à jouer encore 2 ans, mais le destin en a voulu autrement. Le football Guinéen souffre de cette décision du sommet de l’état. Seuls quelques éléments étaient en fin de parcours. Au risque de me repeter, vider l’effectif a freiné l’ascension du football Guinéen. Il suffisait de remplacer Cherif et Calva repectivement par Hidalgo et Diaby, Sory avait déjà son quelqu'un à son poste, Jacob serait remplacé par Moussa Soler. De l’autre côté, il y avait Becken. Tout était en place pour un quatrième titre.
Ivory Coast Tribune:
1978
Ismaël Sylla Eusobio :
la préparation et qualification de la coupe d’Afrique des nations, Lagos 80 contre le Zaïre. Nous avions déjà éliminé le Cameroun à Yaoundé.
Ivory Coast Tribune :
1979
Ismaël Sylla Eusobio :
la première nuit dans ma chambre d’hôtel à Abidjan.J’entends le Bembeya Jazz jouer à la radio : « Il n’y a pas mieux que vivre chez soi, si l’on a rien à se reprocher ». Il était 1h.00 du matin. J’ai pleuré dans mon lit. Le combattant que je suis a continué sa longue marche en avant . IL fallait continuer la lutte, mais cette chanson fut prémonitoire, eu égard à la suite des événements.
Ivory Coast Tribune:
1980
Ismaël Sylla Eusobio:
beaucoup de regrets de n’avoir pas pu participer à la phase finale de la coupe d’Afrique des Nations à Lagos. Je pensais qu’on m’aurait fait appel. je réalisais finalement, que j’étais devenu indésirable. Mon pays n'a pas franchi le premier tour. D’autre part, je reste convaincu que grâce à moi la nouvelle génération a eu le courage de sortir.
Ivory Coast Tribune : êtes vous croyant et pratiquant ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Oui, je suis musulman. J’ai fait le Hadj en 2008.
Ma religion est au-dessus de tout. Depuis 40 ans, tous les Lundi et Jeudi, j'observe le jeûne et je béni tout le monde.
Ivory Coast Tribune :
vous êtes africain. Dites-nous, honnêtement quelle a été l’apport de la magie noire dans le succès du Hafia football club ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Les gens vous diront non, tout ça est irréel. Demandez-leur pourquoi ils la pratiquent. Nous croyions à 100% à la magie noire et aux gris-gris. Les managers se chargeaient de « préparer » les matches. Par exemple, ce match Asec Mimosas- Hafia à Bouaké que nous perdons 3-0. Au retour à Conakry, le président Sékou Touré a demandé à tout le pays de mobiliser les plus grands sorciers pour la victoire. Nous avons battus les mimosas 5-0 à Conakry. Je marque d’ailleurs un de mes rares buts ce jour là (j’en ai mis quelques uns contre le fameux "goalier" Tunisien Attougah dans ma carrière).
Je vous parle d’une réalité vécue et qui existe à 100%. Aucun pays africain ne peut dire le contraire. Se laver avec, manger et boire des concoctions, se munir de gris-gris pour la victoire ? Nous l’avons fait au Hafia et à l’Africa Sports.
Tenez, j’ai vu de mes yeux l’empereur baoulé (Laurent Pokou) dans les vestiaires en 1973 (Hafia-Asec) au stade Géo André à Abidjan. Il faisait peur avec tous les gris-gris dont il était muni. Au retour chez nous, nous avons battu l’Asec à la dernière minute... Avec l'aide de nos gris-gris. Personne ne peut me convaincre que ça n’existe pas.
Ivory Coast Tribune :
Avez-vous un message pour nos lecteurs et votre pays ?
Ismaël Sylla Eusobio :
Je voudrais adresser ce message à un de mes amis. Le président Antonio Souaré. Mon copain d’enfance et coéquipier de kholéa, actuel président de la fédération de football. Je lui souhaite tout le bonheur dont nous n’avons pas pu jouir, nous les anciens du Hafia. Que dieu lui donne les moyens de remporter la coupe d’Afrique des Nations de football pour notre pays. Je lui souhaite tout le bien qu’il mérite. Je confirme qu’il a la bénédiction de tous les survivants du Hafia F.C et tous ses amis d’enfance.
Au peuple Guinéen, je voudrais dire que ceux qui racontaient que j’avais quitté Conakry pour la fortune ce sont malheureusement trompé. Je suis toujours et je reste de cœur avec mon peuple que j’ai servi pendant des années. Toutes mes pensées vont toujours aux encadreurs et nos responsables de l’époque (vivants) ou qui ne sont plus avec nous. Quand je prie, je demande à Allah, que l’âme de mes coéquipiers décédés repose en paix. Nous demeurons toujours ensemble.
Sory Kandia Kouyaté - Hafia Club (So Djak's Music)
ASEC Abidjan 3-0 Hafia F.C.| Octobre 1976 (match à polémiques)
Publié par ivorycoasttribune.com 24/12/[email protected]:39
Claude B. Djaquis est diplômé des universités d’Exeter et London Met (Angleterre). D'origine Ivoirienne, sa grande passion a toujours été le journalisme. Traducteur/Interprète International, Consultant en Relations Internationales et membre de l’Union nationale des journalistes Britanniques, il est Concepteur/Directeur de publication de ivorycoasttribune.com