Côte d’Ivoire 2020 - Cour Constitutionnelle. La Gangrène De La Nation.

Depuis Vingt ans,  l'institution déchire la Côte d'Ivoire. Il est temps de lui trouver une alternative.

Le panel de la honte: Mamadou Koné (au centre), Jacqueline Oble, Ali Touré, Vincent Koua Diéhi, Assata Koné-Silué, Rosalie Kouamé Kindoh-Zalo et Mamadou Samassi /photo:censors

Nous sommes en 1982, six mois plus tôt, le colonel Jerry Rawlings s’emparait du pouvoir au Ghana pour la deuxième fois après avoir évincé  le président Hilla Limann par un coup d'État.

 Ce 30 juin, s’écrit une page sombre de l’histoire de la justice Ghanéenne car durant les heures de couvre-feu,  la juge Cecilia Koranteng-Addow est enlevée et assassinée en même temps que deux de ses collègues , Frederick Poku Sarkodie et Kwadjo Adgyei Agyepong de la Cour suprême, de même que Sam Acquah, un officier de l'armée à la retraite.

Brûlés vifs. Leurs restes calcinés seront découverts le lendemain sur les champs de tir de l’armée à Bundase, dans les plaines d'Accra. Dix ans plus tard, un comité d'enquête spécial conclura que le chef de la sécurité nationale du Ghana de l'époque, Kojo Tsikata, bras droit de Rawlings, aurait été  le commanditaire de cette atrocité mais il sera plus tard blanchi.

Cinq militaires sont condamnés à mort et exécutés pour ce crime odieux, commis pour la simple raison que la juge avait fait libérer un homme d'affaires. Mr. M. Shackleford, détenu illégalement selon lui  par le tribunal de la junte au pouvoir et qui avait à l’époque bénéficié des services de l’avocat et actuel président du Ghana, Nana Akufo-Addo.

Mr M. Shackleford a argué que lors de son interrogatoire concernant  des entreprises impliquant l'ancien chef d'État I. K. Acheampong,  en divers endroits dont notamment le « Présidential retreat Peduase Lodge », domaine appartenant à la présidence de la république, il aurait été l’objet d’abus.

Malgré la loi martiale en vigueur  dans son pays, la juge Cecilia Koranteng- Addow, a eu le courage de dire ce qu’elle savait faire de mieux ; la loi en se prononçant en faveur de l'homme d'affaires tout en estimant qu'il n'y avait aucune justification à la détention et ordonnant de fait sa libération.

Elle a terminé son jugement en citant les premiers mots de Lord Halsbury L.C. dans son discours dans l'affaire Cox v. Hakes (1890) 15 App. Cas. 506 a le p. 514, H.L. :"Pendant une période remontant à notre histoire juridique, l'assignation en habeas corpus a été considérée comme l'une des plus importantes garanties de la liberté du sujet. Si, au retour de cette ordonnance, il était jugé qu'aucun motif juridique ne justifiait la détention, la conséquence était la libération immédiate".

Tous les ans, le Ghana célèbre la mémoire de la juge Cecicilia Koranteng-Addow  et ses deux autres collègues, durant la cérémonie des martyrs de l’État de droit, dans l'enceinte du palais de la Cour suprême où des statues ont été érigées à leur effigie.

Une visite annuelle de cette place des martyrs de l’État de droit devrait être l’un des prérequis à la fonction de juriste pour tenter enfin de « de-nécroser » ce tissu gangreneux de la société qu’est devenu le pouvoir judiciaire en Côte d’Ivoire.

La gangrène est une affection caractérisée par la mort des tissus, touchant essentiellement les membres mais parfois aussi des viscères tels que le foie, le poumon ou l'intestin. En littérature, il s’agit d’un mal insidieux qui menace d'envahir la société, un organisme, une institution, etc.  On peut donc dire d’une institution qu’elle est atteinte par la gangrène de la corruption si l’on désire en déduire le sens figuré.

Depuis Vingt ans,  l'institution déchire la Côte d'Ivoire. Il est temps de lui trouver une alternative.

Pour paraphraser le professeur Mamadou Koulibaly, l’un des quarante candidats  dont les dossiers ont été invalidés par la Cour de la honte, « Nous comprenons que les populations soient choquées par le coup d’État contre la constitution. Voir les gardiens de notre loi fondamentale en devenir les fossoyeurs peut être décourageant. Les seuls qui ont échoué sont les juges du conseil constitutionnel, qui n’ont pas été capables de rejeter la seule candidature qui méritait de l’être: celle d’Alassane Dramane Ouattara ».

Les juges Mamadou Koné, Jacqueline Oble, Ali Touré, Vincent Koua Diéhi, Assata Koné-Silué, Rosalie Kouamé Kindoh-Zalo et Mamadou Samassi, n’ont pas failli à leur tâche; celle d’avoir bénéficié toute leur vie des émoluments de l’État de Côte d’Ivoire et en définitive trainer toute la nation dans la boue et la poubelle de l’histoire, au moment où le peuple souverain n’attendait d’eux que le témoignage de l’État de droit.

Comment en sommes-nous arrivés à la décadence d’une institution supposée être garante de la souveraineté du peuple ? Les années passent et se ressemblent dira l’ivoirien lambda, membre du tribunal du peuple qui une fois de plus, se contentera de pardonner à ses filles et fils indignes de la clémence de la nation, responsables de cette énième forfaiture.

À l'aube du 21ème siècles, le juge Tia Koné, alors président de la Cour suprême et ses collègues drapés de la toge de la « vérité » ont semé le vent de l’exclusion en rejetant pêle-mêle les candidatures de l’ex-président Bédié et le Premier ministre Alassane Dramane.

Dix ans plus tard, adossés à une rébellion dont le grief était la religion et l’appartenance ethnique, Alassane Dramane Ouattara et Henri Konan Bédié ont eu raison d’un autre juge constitutionnel, en l’occurrence Yao N 'drè, lui qui battra tous les records d’incongruité en investissant deux présidents de la république avant de clamer qu’il aurait été possédé par le diable.

Enfin, ce 14 septembre 2020, Koné Mamadou et sa cohorte d’intellectuels farfelus et sans mérite, dont le seul et vrai fait d’armes est de s’être abondamment abreuvé à  la sève nourricière de la république, ont tourné la Côte d’Ivoire en dérision  en arguant d’incohérence et de contradiction pour valider la candidature d’Alassane Dramane Ouattara, candidat par décret en 2010 en vertu des accords de Pretoria, candidat dérivé du décret de 2010 durant l’élection de 2015, enfin  première candidature d’une troisième république imaginaire.

Par cet ultime acte d’ignominie, la Cour constitutionnelle a pris  rendez-vous avec le tribunal du peuple de Côte d’Ivoire dont le verdict est sans appel. Il est temps, grand temps de se débarrasser de cette institution teintée de corruption, de gangrène et de honte, dont les membres devront rendre compte au peuple souverain de la terre d’espérance, notre nation la Côte d’Ivoire.

L’Afrique a besoin d’institutions fortes, non perverties et perméables aux appétits voraces de voyous désireux de se pérenniser au pouvoir. Au risque d’inviter les armes et la force brute de celle qu'il n'y a plus lieu de considérer "grande muette", dans le pouvoir exécutif; ce théâtre qui devrait être proscrit aux aventuriers dans nos États fragiles.

Claude Djaquis

ivorycoasttribune.com