Après le départ de la superstar Sam Turray à la fin des années 70, la décennie 80 a consacré le règne sans partage de l'Africa Sports d’Abidjan sur le football ivoirien. Adossé à une fortune inépuisable, le président Simplice Zinsou n'avait pas que pour allié le verbe qu’on lui connait. Il bénéficiait de la toute puissance de la République et, cerise sur le gâteau, des sponsors tels que "Les Résidences Malardeaux", "La bière 33", "Sivomar" etc... Pour dérouler le tapis rouge à sa "légion étrangère", en recrutant parmi les meilleurs talents d'Afrique.
Ainsi, Ismaël Dayfan, une virtuose du "Jogo Bonito" au tempo déroutant et une élégance hors pair débarque de Freetown, vivier de perles rares. A ses côtés, un "tueur silencieux". Une machine à marquer des buts grâce à qui l’Africa accumule titres et trophées. On se souviendra toujours de lui comme celui qui domptât l'éternel rival Asec Mimosas et son emblématique « goalier », Koffi Kouadio Dino Zoff.
De 1981 à 1984, Brima Mazzola Kamara a fait la pluie et le beau temps dans le championnat de football le plus médiatisé d’Afrique. Soulier d'or, double Champion, vainqueur de la Coupe Nationale et de la Coupe Houphouët Boigny, avant de s’envoler vers d’autres cieux au grand dam des "Oyés".
Pour éclairer la lanterne du public sportif et les fans de Mazzola sur la fabuleuse histoire de ce prolifique buteur né sur les rives du fleuve Rokel, nos reporters ont profité du confinement dû au COVID-19, dans le strict respect des mesures de distanciation sociale, pour s'entretenir longuement avec l'actuel Vice-président de la Fédération de football de Sierra Leone. Oui, Mazolla l'enfant prodige de Freetown est aujourd’hui la fierté de son pays, la Sierra Leone.
I.T. vous arrivez en 81 à l’Africa Sports qui est encore groggy après le départ de Sam Turray, cet autre buteur venu de Sierra Leone. L’avez-vous connu ?
Brima Mazzola : Sam était un devancier que nous admirions tous. C’est un guinéen qui a été naturalisé pour intégrer l’équipe nationale de mon pays. Quel talent !
I.T : comment avez-vous atterrit chez les aiglons alors? C’était lui la connexion ?
Brima Mazzola : C’est plutôt par l’intermédiaire de Cheick Ibrahim fofana, un journaliste Sierra Léonais qui travaillait en Côte d’Ivoire. Au cours d’une discussion avec Simplice Zinsou, celui-ci lui demande s’il pouvait lui trouver de bons joueurs dans son pays.
Plus tard, les Eastern Lions de Ismaël Dyfan font escale à Abidjan après une rencontre en Haute Volta (actuel Burkina-Faso). Le journaliste informe Zinsou que l’un des joueurs qui pourrait l’intéresser doit jouer un match amical contre le Stella à Abidjan. Après la rencontre avec Simplice Zinsou, Ismaël est rentré au pays pour m’informer parce que nous formions une belle paire en équipe nationale.
I.T : Quelles étaient les clauses de votre contrat, si ce n’est pas indiscret?
Brima Mazzola : Il n’ya pas eu de contrat. D’ailleurs mon club a refusé de signer ma lettre de sortie. Il n’ya jamais eu de discussion autour d’un montant à nous payer ni à nos dirigeants. Jeune, ignorant, sans manager ni conseiller, pour moi, c’était dorénavant l’africa sports ou rien.
Mon club a exigé un contrat mais j’avais hâte de me retrouver à Abidjan. En rétrospective, Ce fut une grosse erreur, mais je cherchais à progresser par tous les moyens. Le club qui accueille un jeune devrait être dans l’obligation de le faire dans un cadre légal, car le business doit profiter à celui qui y ajoute de la valeur. Notre expérience doit servir de leçon.
Nous sommes allés tout droit à l’entrainement le jour de notre arrivée à Abidjan pour rencontrer nos nouveaux co-équipiers.
La même semaine nous avons battu le Stella de Gadji Celli en ¼ de finale (2-1) de la coupe nationale. J’ai marqué l’un des buts, En un temps record, Coach Nomovich a discipliné mon jeu. En ½ finale, nous avons éliminé l’Asec Mimosas 2-1. J’ai encore marqué.
I.T :avez-vous toujours joué avant-centre ?
Brima Mazzola : Comme je l’ai dit tantôt, on m’appelait aussi le sorcier de la ligne de touche à cause de mes dribles déroutants sur la ligne, mais à Abidjan, les coaches on développé mon physique et mon positionnement en pointe.
Je me souviens encore. Nous avions un ailier, Adama Coulibaly, qui allait très vite mais avait du mal à conclure, donc les instructions étaient simples de la part du coach. Fais tout ce que tu as à faire et cherche Brima à la fin pour marquer. (Rires).
L’autre génie, Pascal Miezan, il savait toujours où me trouver pour punir l’adversaire.
I.T : quel a été votre impression du championnat ivoirien ?
Brima Mazzola : j’ai aimé la passion du foot dans ce pays. De 1960 à 1990, vue de l’extérieur, la Côte d’Ivoire avait une fondation solide. J’étais comme un enfant dans une bonbonnière, au sens propre du terme. Nous y avons rencontré des footballeurs de toute l’Afrique. J’ai été élu meilleur joueur, j’ai remporté deux fois le championnat, deux coupes nationales et deux coupes Houphouët boigny en 3ans. J’ai adoré ce que j’ai vécu. En rien du tout comparable à la Sierra Léone de l’époque. J’espère vraiment que les responsables du foot pensent à pérenniser les valeurs des anciens. La vie à Abidjan était belle. Les forces de l’ordre, les citoyens ordinaires. Tout le monde nous admirait. La Côte d’Ivoire c’est ma seconde patrie.
I.T : quels joueurs vous ont le plus impressionnés ?
Brima Mazzola : bien sûr, feu Pascal miezan. Très intelligent comme footballeur. Lago Patrice, Monguehi François et l’homme à la tête magique, Feu Lebry Manahoua. Un mec comme feu Gnahore Emile qui allait très vite depuis sa position de latéral droit pour peser sur la défense adverse. Youssouf Fofana de l’ASEC.
I.T : Monsieur Brima Mazzola Kamara, monstre sacré du football, aujourd’hui Vice-président de la fédération Sierra léonaise. Avez-vous un message pour clore cet entretien ?
Brima Mazzola Kamara : A la jeunesse, je peux confirmer et je suis d’avis que les opportunités foisonnent à travers le monde, mais il faut être discipliné et ne pas oublier les études si possible ou une formation quelconque, car la carrière d’un sportif est très courte. Vous serez ainsi prêts à affronter les réalités de la vie.
Je suis heureux d’avoir eu l’opportunité, de retrouver les fans à travers votre magazine ivorycoasttribune.com qui revalorise les anciennes gloires du football continental. Vous avez tous mes encouragements. A notre époque, c’est vrai que nous n’avons pas connu la richesse financière mais grâce à l’organisation du football dans votre pays, nous autres avons pu nous forger un avenir. Plusieurs joueurs étrangers ont connu le succès grâce à ce pays qui est ma deuxième patrie. Je n’hésiterais pas à retourner vivre en Côte d’Ivoire pour son hospitalité légendaire.
J’apprends que mon Club, l’Africa Sports traverse des moments difficiles mais je suis convaincu que des dirigeants sérieux remettront tout en place pour notre bonheur à tous. Votre magazine nous permet de revivre de grands moments de l’histoire du football africain. Je vous remercie pour l’excellente idée que vous avez eue. Nous conseillerons aux sponsors de vous accompagner.
A la nouvelle génération de professionnels, n’oubliez pas de créer des associations d’anciens dans chaque pays, car après le foot, il ya la vie et la reconversion au pays. C’est maintenant, avec tous vos moyens qu’il faut creer l’après foot et aider la jeunesse.
Aux investisseurs, je les encourage à venir voir les académies ici chez nous. Il ya du talent en abondance. Vous ne serez pas déçus.
Vive le football !
Ivorycoasttribune.com : Comment allez-vous Mazzola ?
Brima Mazzola Kamara : très bien
I.T : Merci d’avoir accepté de nous rencontrer. Nous allons commencer par des sujets abordés en générale en fin d’entretien pour utiliser une technique des scénarios de film. La vie et l’art s’imitent mutuellement de toutes les façons. Vous êtes aujourd’hui Vice-président de la fédération de football en Sierra Léone, mais fait majeur en ce 21eme siècle, c’est une dame, Aisha Johansen, qui en est la Présidente. C’est un exploit dans ce sport dominé par les hommes, de surcroit en Afrique, quand on connait la place qui y est souvent injustement réservée à la gente féminine.
Brima Mazzola Kamara : je vous remercie d’avoir relevé ce fait d’exception dans le monde du football. Mme Johansen, notre présidente n’est pas à son poste par hasard. Son père a été propriétaire de club de football. Le football c’est sa vie. Elle et son époux sont propriétaires du FC Johansen. Avec mon expérience à l’étranger, il m’aurait été impossible de ne pas encourager la promotion de ce genre de personne.
I.T : Votre soutien a-t-il pesé dans la balance de son accession à ce poste prestigieux ?
Brima Mazzola Kamara : Je veux simplement dire que nous avons œuvré pour nôtre bien commun qui se trouve être le football.
Voyez-vous, après 19 ans passés loin de chez moi, d’abord pour mes études et ensuite parce que entre-temps la guerre civile avait ravagé mon pays, je débarque en 2007. C’était la reconstruction. J’ai été approché par les anciens qui étaient sur place en vue de prendre les rennes de la fédération, mais en Afrique la politique est compliquée. Briguer ce poste a été très difficile. Alors, feu Moseray Fadika, ex patron de la compagnie « Africa Minerals » a pris sur lui de sponsoriser ma campagne en accord avec les anciens footballeurs qui forment un groupement d’intérêt. Notre présidente actuelle, étant elle aussi présidente de club, nous avons trouvé un compromis. Non seulement pour faire la promotion du genre et encourager l’éclosion du football féminin mais surtout avoir au centre des débats une personnalité neutre à toute la bataille politique.
I.T : que font les politiques dans le sport en Sierra Leone ?
Brima Mazzola Kamara : Les groupes d’intérêts n’ont pas arrêtés de nous mettre les bâtons dans les roues depuis notre accession à ce poste. Au point où nous avons été suspendus par la FIFA, non pas pour corruption comme rapporté de manière erronée par certains medias, mais pour immiscion des politiques dans les affaires de la Fédération de football. Pour l’instant c’est l’accalmie et la suspension a été levée.
I.T : à part la promotion du genre qu’avez-vous proposé d’alléchant pour le bonheur du football?
Brima Mazzola Kamara : le bonheur du football Sierra Léonais, C’est le cas de le dire et c’est le moins qu’on puisse faire surtout avec l’expérience dont nous bénéficions. Ne dit-on pas que la charité bien ordonnée commence par soit même ? Nous prévoyons créer un environnent propice à la reconversion de ceux qui ont tout donné pour l’amour du pays et du sport. Un fonds de retraite, une assurance maladie pour les ayants droits.
I.T : d’accord mais ces genres de projets ne devraient pas se limiter à un groupe d’individus, n’est-ce pas?
Brima Mazzola : Bien sûr, nous voulons professionnaliser le football chez nous. Tous les stades sont vides aujourd’hui durant les compétitions. Ce qui est malheureux, c’est que la plupart de nos jeunes talents se retrouvent en Suède et ailleurs pour des miettes. Nous pensons qu’avec le soutien des sponsors et des mécènes nous pouvons offrir mieux à nos jeunes pour les maintenir ici avec suffisamment de moyens. Encore une fois, il faut la volonté politique pour réaliser tous ces chantiers.
L’ancien ministre des sports était de bonne volonté mais il a été limogé avant de se pencher sur nos propositions. Nous continuons de travailler dans ce sens. Nous souhaiterions avoir ce que « Orange » fait avec la Côte d’Ivoire pour éviter que nos talents disparaissent. Et ce n’est pas tout. Nous sommes entrain de mettre en place des mesures pour que le football redore son blason.
- 1/ chaque club devra avoir un siège
- 2 /Un compte bancaire
- 3/Un stade digne de ce nom
- 4/ Encourager les clubs à s’incorporer de sorte que les supporters et investisseurs aient des actions dans le club de leur choix. En fin de saison, tout le monde partage les dividendes. Quand un supporter paie un ticket d’entrée au stade pour le club de son cœur, cela ne doit pas être en vain.
Nous invitons nos professionnels actuels à s’impliquer d’avantage dans ce que nous faisons parce qu’ils se retrouveront bientôt a notre place.
I.T : toi qui parcours l’Afrique et le monde en tant qu’officiel, que penses-tu de l’état du football africain ?
Brima Mazzola : je vais réitérer ce que j’ai déjà dit. Nous sommes sérieusement handicapés par le départ massif de nos joueurs à l’étranger. C’est peut-être bénéfique socialement, ce dont je doute pour la majorité, mais nos compétitions en souffrent.
Les académies se créent partout au Sénégal, au Nigeria, en Côte d’Ivoire mais les vrais talents ont disparus. Les jeunes jouent d’abord pour l’argent. L’amour du sport n’existe plus donc il vous sera difficile de retrouver des Lebry, Miezan et autres. La question est comment renverser la tendance et ramener nos supporters sur les stades.
A notre niveau nous allons offrir une ligue professionnelle à la Sierra Léone. Au cours de ma deuxième saison à l’Africa, j’avais une voiture même si, avec du recul je réalise aujourd’hui que j’aurais pu avoir beaucoup plus, c’était une source de motivation. Nos administrateurs et patrons de club doivent avoir suffisamment de moyens pour éviter l’exode des talents.
I.T : S’agissant justement des circonstances de votre apparition à l’Africa Sports, nous en discuterons, mais avant, on vous appelle Mazzola, comment avez-vous eu ce sobriquet ?
Brima Mazzola Kamara Adolescent à Freetown, les grands frères des quartiers ont organisé des tournois de football, et chaque sélection portait le nom d’une équipe nationale ayant participé à la coupe du monde. Notre équipe, était la Squadra Azura (équipe nationale d’Italie) dont Sandro Mazzola était le joueur le plus célèbre. J’ai été le meilleur buteur du tournoi et voila, les gens m’ont surnommé Mazzola. Depuis, c’est devenu mon nom.
I.T : Est-ce à partir de ce moment que vous décidez de faire carrière dans le foot ?
Brima mazzola : C’est durant les compétitions inter-scolaires que j’ai commencé à me forger une carapace de footballeur. Un jour, Mr Domingo qui jouait pour « Western Regions », m’a demandé de joindre son club. Cette équipe m’a offert ma première paire de chaussures de foot. C’est dans cette équipe que j’ai commencé à marquer des buts extraordinaires contre des adversaires coriaces. Ensuite, l’ancien coach de l’équipe nationale, Manney Peters, qui fut d’ailleurs plus tard coach de l’équipe de Georges Weah au Liberia m’a convaincu de rejoindre
les « Real Republicans » avec lesquels j’ai évolué de 1974 à 1981.
C’est à Real Republicans que la rage de vaincre s’est emparée de moi. A mes débuts on m’appelait le sorcier de la ligne de touche parce que je pouvais réaliser tous les gestes techniques à l’aile. J’ai marqué beaucoup de buts, j’ai même était élu meilleur joueur Sierra léonais. Appelé en équipe nationale, Ismaël Dayfan en 10(celui qui était à l’Africa Sports) et moi en 9, nous avons battu en 1979 l’équipe nationale du Liberia des Sakpa Maya, Benedict Wiffey, Aaron et Anthony Agrey qui étaient les super stars de leur pays.
En 1980, le Sily National de guinée arrive à Freetown pour un match amical, en préparation de la Coupe des Nations à Lagos. Ce fut l’un des plus beaux matches de ma vie quoique nous ayons perdu 3-2. Mon pays savait qu’il pouvait compter sur moi.
Cette période a été euphorique à tous points de vue. en 1980, nous faisons match nul contre l'Ashanti Kotoko de Kumassi , en route pour le pour rencontrer les « Invincible 11 » du Libéria . Le lendemain de ce match, le coach Libérien me demande de venir aider son équipe à Monrovia. J'ai accepté avec plaisir mais durant la rencontre, un des défenseurs Ghanéens me dit: eh toi, qu’est ce que tu fous ici ? Tu as joué contre nous à Freetown n’est-ce pas ? C'était fou!
Je jouais pour trois clubs différents en compétitions internationales. En deplacement en Guinée Bissau, j’ai aidé les Bai Boeih Warriors de Freetown à gagner leur match. Une autre fois, Je suis allé aider les Mighty Blackpool contre la Jeanne d’Arc de Dakar.
I.T: N'était-ce pas illégal?
Brima Mazzola Kamara:Bien sûr que tout ça était illégal. Nous étions jeunes et les dirigeants se servaient de nous. C’est la Guinée Conakry qui était experte dans ce domaine. C’est pourquoi ils semblaient invincibles. Il n’existait aucune base de données pour enregistrer les joueurs. Après, C’était la pratique partout en Afrique.
**************Une succession d'événements incompréhensibles a contribué à la dissidence qui a fini par vider l'Africa Sports d'Abidjan de la moitié de ses vedettes qui iront fonder l’ossature de l'équipe du CNOU des Kobinan Kouma et autres Sékou Coulibaly.
Après la demi-finale victorieuse de la 6ème coupe des coupes en Algérie, l'équipe est reçue par le Président Houphouët Boigny qui offre 25000.000f (Vingt cinq millions) Cfa aux joueurs. La prime ne sera jamais perçue par les finalistes qui se retrouvent en retraite à Taabo pour une semaine dans des conditions difficiles. Mr Norbert Gbétibouo arrive à convaincre les joueurs de participer à la finale de la coupe.
Par ailleurs, La rencontre prévue Samedi, a due être reportée au Mardi de la semaine suivante sur insistance de Mazembé. Le retour de l'Africa Sports à Abidjan s'effectue en vol charter avec des turbulences effroyables le jour de la finale. C’est la mort dans l'âme que l'Africa Sports, en victime expiatoire apeurée et démoralisée, se déculotte face aux Zairois qui solidifient leur palmarès en remportant la coupe en terre étrangère.
La suite serra l'arrivée de Joseph Antoine Bell, Ismaël Dayfan, Attoh Mensah Brima Mazzola Kamara et la légion étrangère qui écrira l'une des plus pages de l’ère Simplice Zinsou.